Histoire de vie de Aurélie (2021)

Histoire de vie de Aurélie

On a tous l’impression d’être libre, de pouvoir faire ce que l’on veut, en réalité c’est complètement faux. Moi, j’ai perdu ma liberté le jour où j’ai perdu le contrôle de mes émotions.

Comme tout le monde, ma vie est faite de bonheurs, de difficultés, d’échecs mais on passe dessus, la vie continue, on avance. Je range chaque difficulté et chaque échec de ma vie consciencieusement dans un tiroir, seulement, le tiroir n’est pas fermé à clé et ce que je ne sais pas, c’est que tous mes tiroirs vont un jour s’ouvrir, en même temps ! BOOM

C’est le jour où ma vie bascule dans l’addiction, le jour où le produit commande ma vie : c’est le jour où j’ai perdu ma liberté !

Moi, Aurélie, 38 ans, infirmière, je suis celle qui connaît la maladie, qui prodigue des conseils. Je suis celle qui écoute les souffrances et qui garde les secrets, celle qui voit et qui ne dit rien, celle qui ne dit jamais NON, celle qui ne dit jamais ce qu’elle ressent et qui range tous ses sentiments dans un tiroir.

Comment une femme comme moi, infirmière, mère de 4 enfants qui connaît les méfaits de l’alcool, du tabac, des drogues…comment ai-je pu me retrouver dans le cercle infernal de l’addiction ?

Quelle honte !

Je ne comprends pas, j’avais tous et pourtant…

Je n’ai pas toutes les réponses sur le pourquoi de mon addiction mais aujourd’hui cela n’a plus d’importance. J’ai appris une chose, le jour où je suis devenue maman une faille c’est ouverte en moi. Cette faille je l’ai fabriquée moi-même, je l’ai fabriquée avec mes propres exigences, mes propres critères de ce que doit-être une femme et une mère et franchement, avec un peu de recul, ce que je me demandais à moi-même c’était la perfection ! Tout simplement impossible ! Je me suis fabriquée une prison, toute seule comme une grande ! 

Je suis devenue maman à l’âge de 26 ans, des jumeaux, chouette me direz-vous !

Ce que peu de gens savent, c’est que mes deux garçons étaient condamnés par le corps médical avant même d’être nés. J’ai vécu pendant 6 mois avec ces deux petits êtres que mon corps ne voulait pas. Avant même d’être mère, j’étais déjà une mauvaise mère !

Les jumeaux sont nés à 6 mois, super ils sont en vies ! Enfin tout doux, ils tiennent dans une boite de sucre. Rien n’est gagné, un jour après l’autre (comme dans les addictions, c’est le chemin de la liberté !), un jour on avance, un jour on recule. Je sors de la maternité sans mes enfants, un déchirement, je suis une mauvaise mère ! Mais ça, je ne le dis à personne, je le garde pour moi et hop rangé dans le tiroir.

Il faut faire face à la famille, aux amis qui demandent des nouvelles : je répète sans cesse les mêmes choses, et plus je parle, plus je deviens une mauvaise mère. J’ai deux belles-sœurs qui accouchent le même mois que moi. Je dois faire semblant d’être heureuse ! Je ne le suis pas !

90 jours entre réanimation et soins intensifs ce sont passés depuis la naissance des garçons, c’est le retour à la maison, le plus beau jour de ma vie !

 J’ai toujours ce sentiment d’être une mauvaise mère. Ce sentiment ne me quittera plus jamais. 

Les années passent, tout va bien jusqu’au jour où toutes mes émotions m’explosent en pleine figure.

C’est un véritable tsunami, je ne contrôle plus rien, j’ai envie de pleurer, de crier mais je n’y arrive pas. Les seuls moments où je peux le faire c’est grâce à mon médicament : pour moi ce sera l’alcool.

Plus je bois, plus je pleure et plus je culpabilise. J’ai cette honte, cette culpabilité qui m’envahit en permanence. J’ai conscience que l’alcool ne me fait pas avancer puisque je rumine en permanence les mêmes choses sans pouvoir y trouver de solutions… et pourtant impossible d’arrêter. Ça tourne en boucle dans ma tête comme un disque dur qui tourne, tourne…. mais qui tourne dans le vide ! Impossible de me mettre en mode pause. Je ne sais pas comment m’en sortir. Je sais une chose, je ne souhaite pas d’hospitalisation il est inconcevable pour moi de quitter mes enfants. On me propose de me tourner vers une association.

Non merci, j’imagine déjà la scène « bonjour, je m’appelle Aurélie, j’ai 38 ans et je suis alcoolique », super ! Comme si je ne le savais pas ! 

Mais comme le dit le dicton : « Y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis », c’est bel et bien l’association et toutes les personnes qui en font parties qui m’aideront à retrouver ma liberté. Seule, je n’aurai jamais retrouvé ma liberté, avec eux j’ai appris et je continue d’apprendre. Ensemble, je sais que l’on parle des mêmes choses, pas besoin de grandes tirades, pas besoins d’explications…

Ma liberté c’est un peu de moi, un peu de médical, beaucoup de ma famille qui ne m’a pas lâchée et surtout, c’est vous, vous qui venez le jeudi pour aider, conseiller, accompagner, soutenir, parler et partager. 

J’ai une pensée pour nous, les femmes, les mamans car même si le fonctionnement de l’addiction est le même pour tous, pour nous les femmes nous avons une légère tendance à charger notre sac à dos. OUI, nous sommes femme et maman, OUI il y a le regard de la société et les idées reçues de ce que doit être une bonne mère mais moi je dis NON ! Nous ne sommes pas des petites choses parfaites destinées à élever des enfants, faire à manger et entretenir la maison. C’est une fausse image que nous nous infligeons, car ce qui était vrai il y a 30 ans, les pensées avec lesquelles nous avons été élevées ont évolué. Alors les filles, vous pouvez déjà enlever ça de votre sac à dos ! 

Je m’appelle Aurélie, aujourd’hui j’ai 41 ans et aujourd’hui je suis LIBRE (mais vigilante) !